Du Syndicat au Globo, c’est pas une vie d’être un Dandy
On t’a vu, on te connait maintenant. T’es en soirée, tout se passe bien. Le beat est bon, les verres gratuits, l’endroit chill, les gens cools, et en plus ton pote Bernard (oui, tu as un pote qui s’appelle Bernard) vient de t’annoncer la bonne nouvelle : « Putain y’a un food truck là-bas, nan mais laisse bé-ton comment les hot-dogs ils sont trop bons ! »Coucou c’est nous.
Tu approches timidement, te glisses dans la queue, faute de mieux, et tu attends ton tour. Deux minutes d’attente, pas plus c’est promis, qui te laissent le temps de lire la carte. Et c’est là que tu bloques, tu fixes et tu t’évades.
Tu en as envie. On le sait on le voit, et on commence déjà à te griller la saucisse. Ce soir, le Dandy il est pour toi. Nan mieux, ce soir le Dandy C’EST toi.
Tu imagines à travers l’image que tu as de lui, celui que tu aimerais être. Oui, une file d’attente devant Monsieur Saucisse c’est comme une psychanalyse. On te l’a déjà dit, c’est pas parce qu’on fait des hot-dogs qu’on a pas fait d’études.
I would like to be a Dandy
C’est son côté confit d’oignons déglacés au vinaigre balsamique sur son lit de pousses de mâches fraiches qui lui donne un air à part. Un air de fausse simplicité qu’on aime détester. Le genre de gars que tu trouves beau gosse et qui le sait. C’est pas qu’il soit gaulé comme un dieu grec, bien que son abonnement cross fitautorise ses petits pecs et ses timides abdos à produire un effet agréable une fois dévêtit, c’est juste que le gars a du chien. Du chien chaud même.
Le Dandy, c’est le genre de gars que tu croises à des heures que tu imaginais réservées aux chômeurs : 15h de l’après-midi un vendredi. Toi t’es pas au top, tu viens de te faire recaler pour la 47èmefois du 47èmejob de tes rêves et tu commences à te demander si tu ne devrais pas plutôt élever des chèvres dans le Vercors. Alors que tu rentres chez toi, tu te dis qu’un crochet par les quais ne pourrait pas te faire de mal. Et puis si tu veux en finir définitivement avec la vie, c’est même un endroit parfaitement indiqué.
Et bah le Dandy lui, il est là. Le mec est joli. Il n’y a pas d’autres mots : il a la classe. Le pantalon qui arrive juste au-dessus des chevilles, sans qu’il n’ait l’air de sortir d’une pêche aux moules sur le littoral breton, des Doc Martens taille basse un peu brillante, une chemise braillée-débraillée.
Clairement, vous n’êtes pas dans le même mood. Il déambule, il pavoise, son hot-dog à la main. Sur lui c’est élégant. Certes il est de Montmartre, il n’oublie pas d’où il vient, mais il sait où il va, et aujourd’hui c’est la tournée des grands Ducs.
Il profite des rayons du soleil avant l’euphorie qui va enrober la ville de ses habits de nuit pour passer du bon temps avec ses amis.
Ce soir, après avoir marché jusqu’à Saint-Germain, on pourra le croiser sur la terrasse du Hibou, à l’angle des rue Condé et d’Odéon. L’heure tourne et il devra filer. Le Dandy à la différence de toi, on l’attend toujours quelque part. Alors il est partout et nulle part à la fois. C’est la magie du trait de sauce.
Il a assez trainé rive gauche, il est temps de rejoindre sa patrie : la rive droite. Les arrêts sont classiques mais efficaces : on le croisera au Syndicat dans le 10ème, à l’Expérimental Cocktail Club ou encore à la Commune.
Il ratisse avec un objectif : faire tomber une proie dans son escarcelle. Il fait du sport pour être prêt, il s’entretient pour être beau et il pousse le vice jusqu’à porter des boxers anti ondes magnétiques, qui protègent son intimité des ondes. On n’est jamais trop prudent quand il s’agit de la sécurité de ses deux meilleures amies.
Parce que c’est bien beau tout ça, mais ce soir il y a des objectifs à remplir et celui de boire plus que de raison étant déjà validé, il faut rapidement s’intéresser au deuxième : ne pas rentrer seul chez soi. Oui mais le Dandy, il a beau être beau, il est exigeant, et laisse passer des opportunités intéressantes.
L’heure tourne dangereusement même pour ce coureur de jupon, ce sniper qui met en œuvre son talent sur le terrain et s’affranchit de l’utilisation des applications de rencontres qu’il trouve ringarde. Il n’a peur de rien et n’a pas froid aux yeux.
D’ailleurs, il peut même faire un crochet par le Globo en rentrant chez lui, si la soirée n’a pas été assez prolifique. C’est ce qui se passe ce soir : il avance tapis dans l’ombre, cherchant le eye contacten misant sur la pénombre pour accroitre sa bogossitude.
Bien sûr il a un peu trop bu pour rester totalement classe. Mais c’est pour ça qu’il est ici. Il compte sur l’ambiance chargée à l’alcool low cost que ce lieu inspire dès les premières marches du vestiaire afin de passer pour LE gentleman de la soirée. Quand on est une boite de nuit collée à un supermarché Lidl, on ne peut que difficilement inspirer autre chose aux yeux d’un Dandy.
Parfois la technique paye. Souvent c’est un Uber qu’il paye. Seul. Tout juste bon à grommeler au chauffeur que oui, c’est bien lui qui a commandé. Le voilà chez lui, haut perché sur la butte, bourgeois qu’il est, seul qu’il restera ce soir.
Ça le rend plus humain de ne pas faire les bons choix. Un autre exemple ? La trottinette électrique. Il est tout à fait capable d’essayer. Mais doté d’une alarme spéciale, rapidement sa bonne conscience stylistique, sa Christina Cordulaintérieure, lui rappellera qu’il a l’air d’un gland. Ce n’est pas particulièrement de sa faute, ça fait ça à tout le monde. Même George Clooney ne ressemblerait à rien sur une trottinette électrique.
Alors il descendra discrètement abandonnant avec panache sa grosse pile montée sur deux roulettes d’aspirateur dirigée par un manche à balais pour se saisir de son smartphone et localiser le cityscoot le plus proche.
Oh ce n’est pas qu’il ait plus fière allure sur un scooter blanc et un saladier bleu sur la tête. Mais quitte à avoir l’air d’un con, autant rouler plus vite.
Plus tard, rappelé par la brigade du kiff, il évoluera. Il sillonnera fièrement les rues de la capitale sur une MotoGuzzi qu’il aura payé trois fois son prix, sinon ce n’est pas drôle, en pensant à son Sud-Ouest natal. Enfin pas vraiment natal parce qu’il est né dans le 14èmearrondissement de la capitale, mais une fois il y avait été en vacances et il avait aimé … Enfin bref, il se rêvera en Steeve McQueen occitan dans la « Grande Evasion », le panache et la fougue en moins.
Malheureusement, ces deux traits de caractère ne se vendent toujours pas au Conran Shop de la Rue du Bac. Et puis même s’ils vendaient ça, il lui faudrait s’amputer de son bras gauche et de la moitié de son PEL afin de se l’offrir. Or, il s’est déjà délesté de son bras droit et de l’autre moitié de son PEL lors de sa primo-accession à Lamarck Caulaincourt. Il aura beau jeu d’avoir fougue et panache : quand t’es manchot, la moto c’est clairement plus taillé pour toi.
To be Dandy or not to be?
Lui en tout cas, il a choisi son camp. Et toi ? Il faut trancher car, sorti de la rêverie dans laquelle tu étais plongée, tu n’as pas vu le temps passer et c’est ton tour de déguster un hot-dog Monsieur Saucisse.