Fêtard de Bastille

Chaque hot-dog est une personne comme une autre. Il a sa sensibilité, son envie de surprendre, d’exister et d’avoir sa propre destinée. Ceux qui sont encore à l’âge de pierre de la saucisse en doute peut-être, mais il faut que vous preniez conscience d’une chose importante : la révolution de la saucisse est en marche. Portée par une ligue de justiciers portant haut les couleurs de la diversité sous la bannière du hot-dog, chacun apporte sa contribution à la mesure de ce qu’il est et des combats qu’il veut mener.

 

Il y a quelques semaines, nous vous avions présenté le plus smart d’entre eux : le Dandy de Montmartre. Il te regarde d’aussi haut qu’il s’estime lui-même. La tête gonflée à l’image de ses chevilles, nous vous présentions son confit d’oignons déglacés au vinaigre balsamique sur son lit de pousses de mâches fraiches.

 

Cette semaine, nouveau représentant, nouveau trait de sauce et de caractère : le Fêtard de Bastille.

 

Un cheddar coulant comme un Fêtard

 

Respire un grand coup et visualise. La nuit est tombée et les rues brillent de cette lumière jaune significative. Un bruit sourd, couvert par une foule qui discute. Fort. On est dans la 25èmeheure, celle qui s’étale du vendredi soir au samedi matin. Celle où tout va plus vite et à la fois où plus rien ne se passe.

 

A quelques encablures de la Place de la Bastille, point de rendez-vous bien connu des athlètes de la troisième mi-temps, c’est la qu’il apparait. Nous l’attendions tellement qu’il semble presque se détacher de la foule et être entouré d’un halo de lumière

 

Petite chemise assortie d’un chino, le fêtard de Bastille porte toujours son « Friday wear » imaginé le matin, qui, bien des heures plus tard, a perdu en fraicheur mais pas en cooolitude. Le gars est éméché, tant capillaire qu’alcooliquement, mais a toujours avec lui sa sacoche d’ordinateur. Bonne nouvelle pour lui.

 

Même à deux grammes dans chaque bras, c’est son meilleur ami. Il le sait, il la perd, et c’est une partie de lui-même qu’il perd. Dedans, il a tout ce qui compte à ses yeux : son petit carnet dans lequel il note des todos lists qu’il ne do jamais complètement et des « inspirations pour plus tard » qui ne l’inspire jamais vraiment plus tard, ses lunettes qui corrigent plus son style que sa vue et son sacrosaint laptop. Plus qu’un ordinateur, c’est une extension de lui-même. L’ouvrir, c’est comme se pencher au rebord d’une fenêtre donnant sur le plus profond de son âme, sur ce qu’il a de plus intimes, ses secrets et ses pulsions.

En le pianotant à son insu, ce qui n’arrive jamais, on y découvrirait l’état déplorable de son compte bancaire, les prochaines vacances dont il rêve et le nom des filles qu’il drague sans en avoir l’air, pour s’offrir deux issues en permanence : la séduction réciproque ou la simple amitié. Habile le Fêtard.

 

Bref, bien qu’il soit ivre, il sait qu’il a plutôt intérêt à perdre sa dignité plutôt que sa sacoche. Et puis il serait sacrément dans la merde, lundi matin, arrivant au bureau, quand son manager lui demanderait, « tu peux m’envoyer la dernière version du ppt de présentation de la strat générale que l’on doit exposer au CoDir avant le CoPil du CoProj ? »

 

Il ne pourraIt décemment pas répondre : « Tu vas pas me croire Michel, mais je me suis fait voler mon ordinateur quand je l’ai laissé seul pendant 4h â côté du bar auquel j’étais occupé à me souler la gueule en dissertant sur le prochain entraineur du PSG et les conditions de réussite de la gauche aux prochaines élections. »Nan, ça il ne pourra pas le dire. Ça le ferait passer pour un branleur qu’il est le seul à imaginer qu’il n’est pas. Mais personne n’est dupe …

 

 

Ce laxisme certain qui se ressent dans sa façon de boire est finalement un trait prononcé de sa personnalité. Il a beau jeu de dire « à une autre époque, j’aurai été 68-tard » parce qu’en réalité, il est altermondialiste flemmard.  C’est-à-dire qu’il a de grandes idées mais une flemme insurmontable quand il s’agit de les défendre.

 

Pour preuve, il soutenait même les gilets jaunes. Lors des déjeuners de famille obligatoire. Son père lui disait qu’il « comprendrait quand il paiera des impôts », mais lui en était convaincu, un autre modèle de société était possible. Le problème avec les manifestations le samedi, c’est qu’elles tombent toujours après l’afterwork du vendredi soir … L’inverse eût été plus commode, mais ça aurait impliqué de poser une demi-journée le vendredi après-midi pour aller manifester, et ça, ce n’est pas commode non plus.

 

Donc à l’image de sa bande de pote de la fac, le Fêtard exige, mais n’essayez pas de le piéger en demandant quoi !

 

Cet esprit libre car pas encore heurté par les turpitudes que lui réserve immanquablement la vie avance, la tête embrumée par des questionnements existentielles auxquelles il apprendra, plus tard, à répondre successivement. Il est comme ça le Fétard de Bastille, derrière ses faux airs d’intello tourmenté, il se dévoile assez aisément : dans son pain croquant et onctueux, on y découvre clairement une tranche onctueuse de cheddar, une saucisse noble fumée au bois de Hêtre, de la mâche, des petits oignons croustillants et une sauce cuite au chaudron.

 

Il fait l’inaccessible, mais au final, c’est un cœur tout mou qui vous attendrira forcément lorsque  vous croquerez dedans.